Confidence

Roman et vérité

Après avoir rédigé et achevé le récit autobiographique intitulé : Je suis une poupée gigogne, je me suis donc lancée dans l’écriture d’un roman : Tu ne le diras à personne. Au cours de mon parcours, en décortiquant ce qui avait été mon passé, j’ai découvert combien mon histoire familiale avait influencé mon développement personnel et la découverte tardive de ce qui allait devenir un nouvel eldorado : être la femme qui avait, depuis toute jeune, été en moi, mais que j’avais refoulée au point de ne plus pouvoir vivre normalement, de m’épanouir, de ressentir des souffrances psychologiques et physiques intolérables.

Parmi les données de cette histoire familiale, il y en a une dont je ne pouvais soupçonner consciemment l’existence : le comportement incestueux de mon grand-père paternel. Qu’allais-je faire de cette information ? Je ne pouvais plus écrire un livre qui raconterait cette histoire sordide, car tous les témoins directs étaient décédés. Je n’avais donc plus aucune possibilité de recueillir leurs témoignages.

Si je me suis lancée dans ce projet littéraire exigeant, c’était dans un premier temps pour mieux affronter et dépasser nombre de mes démons intérieurs et ensuite de tenter de répondre à un certain nombre de questions essentielles. En effet pour qu’un fait aussi horrible soit maintenu sur trois voire quatre générations dans le secret le plus absolu, il fallait nécessairement que ceux qui en étaient les dépositaires s’astreignissent à une discipline de fer vis-à-vis de leurs proches et vivent avec cette vérité. Je ne parle pas ici de la ou les victimes – je ne sais pas vraiment combien il y en eut exactement – mais de celles et de ceux qui sachant la vérité n’ont rien dit aux personnes directement concernées. Plus précisément, ma mère connaissait la vérité sur les agissements de son beau-père, car sa fille, ma tante, lui avait révélé les attouchements et les viols qu’elle avait eu à subir. Or ma mère fit le choix, peut-être en concertation avec ma tante, de garder le silence et de ne rien dire à mon père. Pire encore ma grand-mère apprenant la vérité sur les actes de son mari sur sa fille avait maintenu également un silence de plomb allant jusqu’à mettre en doute la parole de sa fille.

La première question que je me suis posée est donc de comprendre et de décortiquer les conséquences de cette omerta familiale. Quelles incidences sur les relations entre les membres de ma famille ayant vécu cette histoire, sur leurs descendants autrement dit leurs enfants dont je fais partie.

La deuxième question que je me suis posée est celle de la transmission. J’ai commencé à faire de terribles cauchemars vers l’âge de six/sept ans. Or ma tante avait à peu près cet âge lorsque mon grand-père commença dans le secret de la chambre parentale les premiers viols. Ainsi, pouvait-il y avoir un lien entre ces faits qui remontent à deux générations et mes terreurs nocturnes. À ce titre, je remarquais que mon fils a fait des cauchemars au même âge.

Dans un ouvrage fort intéressant intitulé : Aie, mes aïeux aux éditions La Méridienne, son auteur, Anne Ancelin Schützenberger, a constaté qu’il était fréquent de voir apparaître des cauchemars terrifiants chez certains petits-enfants de déportés, résistants, nazis et même chez des descendants de vivants traumatisés par un passé trop lourd. Dès lors, l’origine de cette répétition traumatique ne provenait-elle pas d’un traumatisme originel, qui à force de ne pas être dit, explicité, relativisé voir condamné, c’était transmis de génération en génération jusqu’à moi et même jusqu’à mon fils.

L’auteure de cet ouvrage a pu constater grâce à des études cliniques que ces traumatismes se transmettaient bien de génération en génération. En d’autres termes, y avait-il un lien transgénérationnel entre les crimes de mon grand-père, le silence assourdissant de ma mère et de mon père sur les questions de sexualité et de genre et le refoulement de ma nature profonde ?

Comme je ne pouvais reconstruire l’historiographie familiale, je pouvais peut-être mettre des mots, des ressentis, des images, des personnages imaginés sur cette histoire au travers d’une œuvre de fiction et ainsi prendre le recul nécessaire afin de reconstituer une logique mémorielle et historique dans laquelle je puisse me reconnaître et régler un certain nombre de comptes avec la nature de ces traumatismes passés, ces souffrances qui m’empêchèrent de vivre.

Qu’elle pouvait être l’intérêt d’une telle construction narrative ? Pour moi cela ne faisait aucun doute puisqu’elle était un élément de mon travail de résilience. Mais pour les autres, mes éventuels lecteurs ? Agirait-elle sur la façon dont ils perçoivent leur propre histoire ? Pour quelle ait un intérêt pour tous, il faudrait qu’elle parlât à tous donc, qu’elle fût vraie pour tous. Or, peut-on dire que cette reconstitution qui prenait comme base un fait divers réel, mais dont les lieux, les personnages, les situations étaient imaginés était vraie pour tous ? En d’autres termes, ce roman pouvait-il être considéré comme plus vrai que la réalité, car il transcenderait cette réalité par la fiction ? La description de cette réalité fictionnelle n’était-elle pas plus vraie que la réalité véritable justement parce qu’elle était fictionnelle, universelle ? N’est-ce pas la définition même du lien entre roman et réalité ?

S’il n’en était pas ainsi comment expliquer que parfois lorsque nous lisons un roman, il nous tombe des mains, non pas parce qu’il ne nous intéresse pas, mais, parce qu’il nous parle, nous émeut si intensément que nous sommes obligés d’arrêter de lire pour entrer en nous-mêmes. Comme si nous avions vécu ce que nous sommes en train de lire. Comme si nous lisions nos propres souvenirs, sentiments. Comme si nous nous reconnaissions dans ce roman au point qu’il deviendrait alors le roman de notre propre histoire ou de celle de notre famille. Il acquiert alors une réalité au-delà de la réalité qu’il raconte, une réalité qui est la réalité de toutes et de tous.

On touche là à l’essence même de la création. L’artiste ou l’écrivain fait appel, intentionnellement ou non, à ce qu’il a au plus profond de son âme, de sa conscience, de sa sensibilité, de son histoire personnelle et/ou familiale. C’est en cela que son œuvre est universelle c’est-à-dire qu’elle parle à tous. J’espère ainsi que l’histoire que j’ai racontée pourra aussi faire œuvre utile et nourrir la réflexion de chacun et chacune comme elle a nourri la mienne, apporter un peu de vérité dans une réalité qui, bien souvent, en manque tant.

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