J’ai côtoyé cet auteur au cours de deux salons et je dois dire que, comme souvent, la grandeur d’une œuvre se mesure à la modestie et l’humour de son créateur. Sur ce plan, Rémi Ros n’est pas en reste !
Rares sont ceux qui, comme lui, abordent la thématique de la Shoah. Trouver le ton juste pour évoquer l’horreur insensée que fut la furie exterminatrice des nazis est un défi extrêmement ardu. Rémi Ros s’en tire avec plus que les honneurs. Les flocons bleus est un livre hors norme. J’ai peine à dire qu’il s’agit d’un coup de cœur, car aimer un ouvrage qui décrit cet univers de cauchemar a quelque chose d’indécent et de paradoxal. Mais je dois dire que j’ai été scotchée par la qualité de cette œuvre inclassable. Elle raconte le destin de Joseph Goldstein, jeune violoniste virtuose, pris dans l’enfer du ghetto de Varsovie et du camp d’Auschwitz. On reconnait un romancier à son style. Celui de Rémi Ros est unique et exceptionnel. Il décrit l’inimaginable avec une maestria digne des arabesques musicales de son héros, violoniste prodigieux. C’est une symphonie de mots, de phrases et d’images qui contrebalance l’immonde, confère un peu de douceur à cette abomination. Heureusement, sans cela l’histoire aurait été insoutenable et le livre imbuvable. Mais Rémi Ros a su rendre par son style et son génie l’indicible supportable. Mieux il démontre avec cette œuvre qu’au cœur de l’épouvante subsiste toujours une étincelle : celle de l’amour et de la magie, derniers refuges des âmes à jamais meurtries. C’est la force de ce livre.
J’ai été aussi impressionnée par le sérieux de son roman. On sent d’emblée que Rémi Ros sait de quoi il parle et qu’il a effectué des recherches approfondies et complètes pour lui conférer une crédibilité historique sans faille. Sa description du ghetto et du camp est précise, impeccable et évocatrice. Il a su décortiquer la mécanique implacable et impitoyable de l’entreprise nazie qui extermine, mais également déshumanise l’individu ou la survie tient bien souvent du hasard. Ainsi, Joseph lors du tri que subissent tous les déportés à l’arrivée du train, est mis de côté. Il est séparé de sa famille. Après une quarantaine éprouvante, il se porte volontaire pour intégrer les coiffeurs. Ceux qui tondent les hommes et les femmes promis aux chambres à gaz. C’est dans ce terrible contexte qu’il fait la connaissance d’Yvan. Celui-ci aide Joseph. Il lui explique que pour survivre, il faut faire profil bas. Ne montrer ni faiblesse ni force, car les deux conduisent directement à la mort. Se fondre dans la masse et surtout ne pas se poser de questions sous peine de devenir fou. Grâce à Yvan, Joseph réussit, mais son don pour la musique va changer son destin.
Il faut avoir le cœur bien accroché pour lire Rémi Ros, mais cela en vaut la peine. En ces temps de commémoration du 80e anniversaire du débarquement, les témoins s’éteignent peu à peu et bientôt il ne restera que les livres d’Histoire, les autobiographies et les romans pour évoquer ce que furent les camps. Rémi Ros a écrit une œuvre indispensable pour que le souvenir ne meure pas et que l’Histoire ne se répète pas. Car le ventre de la bête immonde est toujours fécond et le sera toujours. Elle s’appuie sur la peur, l’ignorance, la bêtise et l’oubli. Ce livre constitue une arme utile contre ceux qui veulent caviarder le passé pour asseoir leur pouvoir et leur légitimité. Il faut ne jamais cesser de le rappeler à quelques encablures des élections européennes et face à une guerre qui frappe à nos portes. Merci à Rémi Ros de nous offrir cette œuvre puissante, mémorable, précieuse pour que la mémoire de cette période ne s’efface pas avec les déportés, exterminés par la folie d’un homme et de ses séides.