Coup de gueule !

Ecriture et résilience

J’ai publié cette tribune en 2017 sur une plate-forme d’écriture.

Je lis beaucoup de critiques et j’entends beaucoup d’opinions défavorables par rapport à la vague d’autofiction. Ils seraient les symptômes d’une société malade, d’une tendance généralisée au narcissisme avec le développement des réseaux sociaux. Si l’on peut déceler des aspects négatifs liés à ce phénomène, je me réjouis pour ma part que la parole se libère enfin.

Lorsqu’en 2012, je commençais à rédiger mon roman autobiographique, la première chose que je me suis dite était celle-ci : « J’écris pour me faire du bien ! » Qu’est-ce qu’il y a de mal à cela ?

J’avais vécu jusqu’à mes cinquante ans dans le refoulement. En effet, un lourd secret avait traversé quatre générations et empoisonné nos relations familiales. Ma tante avait tenté de percer le mur du silence et ouvert son cœur à sa mère qui l’avait rejeté et sommé de ne rien révélé. Ma tante avait avoué ce terrible secret à ma mère qui avait décidé de ne rien dire à mon père, fils du monstre. Mon père avait ainsi vécu dans l’ignorance du comportement de son père envers qui il éprouvait une immense admiration. Ma mère fit preuve d’un amour sans borne et nous surprotégea, mon frère et moi. Nous évoluions dans le déni et rien d’essentiel n’était évoqué dans nos échanges familiaux.

Lorsqu’un jour je parlai de mes « angoisses » à mon père qui me semblait alors la personne la mieux à même de me comprendre, il botta en touche et me répondit : « C’est parce que tu grandis ! ». J’en concluais que je grandissais bien mal et j’enfouis dans ma conscience ces « angoisses » étranges. Je pris ainsi l’habitude de me murer dans le silence et un jour mon fils, très introverti, après que je lui eus révélé ma transidentité, m’écrivit qu’il avait toujours eu l’impression que je portais une armure cachant ma véritable nature. Qu’elles seront les conséquences de toute cette histoire sur les générations suivantes, je ne peux bien évidemment pas le prévoir, mais je suppose qu’elles seront réelles.

Si je décris rapidement et à grands traits ces aspects de mon passé, c’est pour montrer l’utilité, la nécessité de libérer la parole. Quel aurait été mon destin si ma tante avait été écoutée, si ma mère avait parlé à mon père, si mon père avait cherché à comprendre mon malaise profond, si j’avais évoqué plus tôt de ma particularité à ma compagne et à mes enfants ? Vous me direz, avec des si, on mettrait Paris en bouteille. Pour ma part, j’ai la faiblesse de penser que la vérité vaut toujours mieux, même si cela peut faire très mal, que le silence.

Avant que je me sépare et que je commence ma transition, j’entrepris en 2010 la rédaction d’un roman resté inachevé qui racontait l’histoire d’un homme, marié et père d’une petite fille, balloté par les circonstances. Bien entendu, j’avais introduit beaucoup de moi dans ce livre. C’était en quelque sorte « un livre-aveu ». Le début de bien plus amples révélations. Je le fis lire à ma compagne et à ma meilleure amie (à l’époque), mais ni l’une ni l’autre ne comprirent de quoi était porteur cet ouvrage. Peu importe finalement, car ce récit représentait mon premier acte de libération. J’avais « amorcé la pompe » et rien ne pourrait plus arrêter le flot de ma parole !

Que des individus racontent leur vie dans des livres et/ou que les médias leur permettent de s’exprimer au grand jour, si cela est traité avec respect et délicatesse en écartant exhibitionnisme et sensationnalisme, je trouve cela plutôt utile, réconfortant et rassurant. C’est le signe que la société se regarde en face.

Ma prise de position a été amplement confirmée par les faits. Qui aujourd’hui contesterait l’utilité de livres comme Le consentement ou Familia grande ? La vague #metoo et #metooinceste atteste que lorsque le silence crie les dégâts sont incommensurables. La parole libérée marque un début de résilience, même si les maux sont si profonds que des années, des décennies seront nécessaires pour dépasser ces traumatismes.

Je persiste et signe : ouvrons les bouches et les cœurs. Faisons éclater les vérités. Le monde n’en sera que plus juste et majeur.

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